Sur le thème "Agricultures en évolution", cette sixième journée de visite s'est déroulée le jeudi 7 février 2019 de Sainte-Marie-la Robert, Carrouges, Magny-le-Désert à Bagnoles de l'Orne.
Le GAEC Bas Normand de Patrice, Monique et Anthony Leduc, à Ste-Marie-la-Robert.
Patrice Leduc s’est installé en 1985, avec 30 vaches et 22 hectares. Suite à des agrandissements, la ferme fait maintenant 156 hectares pour environ 100 vaches et produit 658 000 litres de lait par an. Actuellement, le troupeau est composé à 70 % de vaches normandes, 25 % de Montbéliarde et 5 % de Holstein.
Outre le lait, la ferme produit 25 hectares de blé (la moitié est vendue, l’autre est gardée pour l’alimentation des vaches. De même pour les 40 hectares de maïs cultivés. Le trèfle est aussi cultivé sur 15 hectares. Il reste plus de 80 hectares de prairie.
Pour les agriculteurs, il est important de produire en se basant sur son environnement. Celui de la ferme est adapté à l’élevage et au lait. Il est également important de maintenir le bocage, et en particulier les haies, qui ont plusieurs avantages pour l’environnement : elles captent et retiennent l’eau. La haie ralentit le vent et limite l’érosion des sols et le ruissellement. D’un point de vue environnemental, elle constitue des corridors pour la biodiversité, elle protège les cours d’eau et confère au paysage une esthétique qui peut favoriser le tourisme. Enfin, dans le cadre de la filière bois énergie, la haie représente un espace de production.
Le lait produit est reconnu pour l’AOP Camembert (Appellation d’origine protégée. La ferme a pu rejoindre la laiterie Gillot en 2017. L’AOP est une garantie de qualité, avec un cahier des charges spécifique à chaque appellation. L’AOP Camembert de Normandie, par exemple, oblige à ce que les vaches soient au moins 6 mois par an au pré. Ces derniers mois, les acteurs de cette appellation se sont battus pour que soit reconnu le Camembert « authentique » par rapport à d’autres Camembert concurrents. Un accord permet de valoriser la filière en acceptant, à côté du Camembert authentique, un Camembert « cœur de gamme » qui valorise aussi le travail des agriculteurs normands, avec un minimum de vaches normandes par troupeau, de temps au pré et l’interdiction des OGM.
L’outillage dans la culture s’agrandit, une seule personne peut travailler sur des parcelles de plus en plus grandes. Dans l’élevage, si les agriculteurs ne veulent pas entrer dans le système industriel (des vaches qui restent toujours en intérieur, par exemple), du fait même d’avoir à prendre soin d’animaux, cela prend plus de temps.
Plus une ferme est grosse, moins il y a de travail sur le territoire. En effet, moins il y a d’agriculteurs, moins il y a de familles pour faire vivre les commerces et services alentours. De plus, les différents métiers qui travaillent autour de l’agriculture ont moins d’activité : vente de matériel agricole, vétérinaires, agro-équipements, services à l’élevage, etc.
L’image de la Normandie est forte, dans le monde entier. Elle est connue pour le débarquement… et le Camembert. Il faut maintenir cette image et garder de la qualité. C’est possible, par exemple, en gardant le savoir-faire de la conduite de prairie, qui est un vrai métier. Quand les vaches mangent de l’herbe fraiche, la qualité gustative du lait est meilleure. Le beurre est jaune au printemps hiver, et blanc en hiver. C’est la démarche qualité qui sauve les fermes. Il faut donc créer des filières bio et AOP qui pèsent. Ces filières ont des impacts positifs sur les consommateurs. Les agriculteurs ont aujourd’hui besoin de reconnaissance. Ils ont de plus en plus peur des contrôles administratifs, qu’ils trouvent de moins en moins humains. L’opinion publique ne se rend pas compte à quel point la mauvaise image actuelle de l’agriculture influe sur le moral de ceux qui en vivent… de plus en plus difficilement. Il faudrait aussi que les relations avec les transformateurs soient plus de type partenariat, pas que les uns exploitent les autres. Avec les labels, c’est plus facile d’être partenaires.La CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel agricole) à laquelle adhère la famille Leduc lui a permis d’acheter du matériel agricole en commun avec d’autres fermes, ce qui a permis des investissements impossibles à réaliser seuls. Cette CUMA a aussi permis d’embaucher un salarié, qui travaille sur les différentes fermes en fonction des besoins de chacune. Des bâtiments ont aussi pu être bâtis en commun. Ce système crée une véritable solidarité.
Les agriculteurs rencontrés ne cherchent pas à transformer eux-mêmes leur lait, car c’est un métier à part, qui demande beaucoup de temps.
La rencontre s’est terminée par une visite de la ferme, et une explication sur la technique utilisée pour le pâturage, technique venue de Nouvelle-Zélande : le pâturage tournant intensif : les vaches sont toutes ensembles chaque jour sur une parcelle de 65 ares, qu’elles broutent entièrement. Puis elles changent de parcelle. Il faut 21 jours pour que l’herbe repousse complètement et puisse être à nouveau broutée sans être abimée. Si on n’attend pas les 21 jours, l’herbe ne repoussera que 2 ou 3 fois puis s’épuisera.
Déjeuner avec M. Pascal Rousseau, agriculteur, membre de la FDSEA, Mme Maryse Oliveira, conseillère départementale et présidente du Parc naturel régional Normandie-Maine, et Mme Mélanie Massias, directrice adjointe du parc
Pascal Rousseau a témoigné, avec des mots très forts, du malaise actuel des agriculteurs, avec d’autant plus d’émotion que l’un de ses collègues des environs s’est suicidé il y a peu de temps :
« …Le métier d'agriculteurs est un métier difficile physiquement mais aussi moralement : nous avons beaucoup de contraintes, beaucoup d'obligations, voire aussi des sacrifices (les équipements de l'exploitation passent avant l'aménagement de la maison et le travail avant les vacances) et tout cela pour souvent peu de rémunération.
Personne dans la société d'aujourd'hui n'accepte de telles conditions. Les agriculteurs sont des passionnés qui aiment leurs métiers mais qui attendent de leurs concitoyens une juste reconnaissance et pas simplement financière. Or cette reconnaissance n'existe plus ou que pour les agriculteurs bio si vous êtes un agriculteur conventionnel (même en AOC ou 1abel) vous êtes suspecté de n'exercer votre métier que par pur profit, d'utiliser des traitements ou antibiotiques à tout va, aux prix qu'ils coutent vous pensez bien que nous les utilisons avec parcimonie ; d'être en partie responsables du réchauffement climatique, (…)de maltraitance des animaux dont nous sommes accusés, nous éleveurs qui consacrons nos vies, nuits et week-end compris pour nos bêtes. Les agriculteurs vivent très mal cette mise en accusation permanente dans tous nos médias (…)
Lorsqu'ils partent en vacances certains de mes collègues ne disent pas qu'ils sont agriculteurs, dans les universités des enfants cachent le métier de leurs parents (…), régulièrement les coups de klaxon ou autre bras d'honneur des automobilistes viennent saluer l’agriculteur qui traite ou épand du lisier dans son champ. Toutes ces accusations blessent le monde rural découragent les plus vulnérables, beaucoup d'entre nous le vivent comme injustice qui devient parfois insupportable.
Voilà le message que je souhaitais vous transmettre, nous avons un besoin urgent de reconnaissance. »
Mme Oliveira a présenté le parc naturel régional Normandie Maine, dont la maison du parc se situe à Carrouges.
Elle a particulièrement insisté sur la candidature, à venir en septembre 2019, du parc pour obtenir le label Géoparc mondial Unesco.
Un géoparc valorise les richesses géologiques des sites en lien avec tous les autres aspects de leur patrimoine naturel et culturel, en vue d'améliorer la prise de conscience et la compréhension d'enjeux de société importants sur la planète. Le Parc naturel régional Normandie Maine a de nombreux atouts géologiques à mettre en valeur, qui justifient cette candidature.
Visite de la ferme de Stéphane Mesnil à Magny-le-Désert
Stéphane Mesnil est associé, en agriculture biologique, à Quentin Fromont et à Michel Chorin lequel va prendre sa retraite et être remplacé par Antoine Garreau.
Sur cette ferme, les bâtiments de travail ont été délocalisés de l’exploitation. Cela diminue les nuisances pour les habitants : circulations des engins et des animaux. C’est une ferme de production laitière de 70 vaches. Avec le passage en agriculture biologique en 2012, la production est restée stable, mais avec une meilleure valeur ajoutée. Le lait est mieux vendu, et les charges mieux contenues. La ferme a gagné en autonomie, puisque toute l’alimentation des animaux y est produite. Cela permet une meilleure maîtrise des charges… et évite les risques de contamination de l’alimentation si des fournisseurs ne sont pas assez regardants (OGM/aliments traités).
Il a fallu adapter les vaches aux changements d’alimentation, liés au cahier des charges biologiques : les vaches n’aiment pas le changement. Du point de vue alimentation, le plus efficace, naturel et facile est le pâturage. Les agriculteurs essaient de les laisser le plus possible dans les prairies, en donnant des compléments alimentaires en mars et novembre.
L’organisme certificateur vient sur la ferme au moins une fois par an. Il y a aussi des contrôles aléatoires, au moins une fois tous les 2-3 ans.
Un nouveau bâtiment est en cours de construction. Il est dédié à la transformation du lait en produits laitiers en crèmes, yaourts et fromages blancs. C’est un nouveau métier, qui s’ajoute à celui d’éleveur laitier. Il faut apprendre de nouvelles techniques, normes et savoirs. Les produits seront vendus via un réseau, Invitation à la ferme, un réseau de 30 fermes qui échangent des savoir-faire, permettent des groupements d’achats et s’entraident pour la commercialisation des produits. Ils ont par exemple aidé pour l’agencement du bâtiment, ayant déjà expérimenté différents modes d’organisation.
Une crainte cependant : il est question que l’aide au maintien en agriculture biologique soit supprimée, et ce serait vraiment difficile de tenir sans cette aide.
Visite du Centre de Médecine Physique et de Réadaptation (CMPR) de Bagnoles de l’Orne, avec Mme Lemaître, présidente de l’association Pierre Noal et Mme Brerat, directrice du CMPR
Ouvert le 1er novembre 1978, le CMPR de Bagnoles de l’Orne Normandie est spécialisé dans les affections du système nerveux, de l’appareil locomoteur et cardiovasculaires. L’établissement reçoit des patients qui restent de 3 semaines à plusieurs mois, suivant la gravité de leur état. C’est le seul établissement de ce type dans l’Orne.L’association Pierre Noal essaie de répondre à différents besoins repérés : elle a créé l’IFRES, l’Institut de Formation Régional en Santé assure plusieurs formations : Masso-Kinésithérapie, Il y a également des formations en podologie et en psychomotricité. Basé à Alençon, 700 élèves y sont actuellement formés. L’EHPAD de Putanges dispose de 76 lits d’hébergement permanent, dont 14 lits pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées, et 22 lits pour des personnes handicapées vieillissantes. Un centre de santé est en projet à Alençon pour essayer de combattre la désertification médicale.
Le CMPR prend en charge des patients victimes d’AVC, de pluri-traumatismes, atteints par la maladie de Parkinson ou par la sclérose en plaques ou d’autres maladies invalidantes. Il assure également de la rééducation cardiaque. 1200 à 1300 passent par le CMPR chaque année. Il y a 92 lits. Certains séjours peuvent dépasser une année. Il emploie 130 personnes, plus 20 à 30 personnes en CDD.
L’équipe du centre aide aussi les patients à prévoir des aménagements de leurs domiciles, de leurs emplois. Les interventions dépassent le cadre d’une médecine classique, c’est pourquoi les équipes sont pluridisciplinaires : médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophoniste, diététiciens, neuropsychologues, psychologues, infirmiers, aides-soignants, etc. Deux assistantes sociales travaillent dans l’établissement. Le volet précarité est ainsi pris en compte.
Il est difficile et long de trouver des professionnels de santé, en particulier les médecins. Bagnoles est situé en zone rurale, ce qui est un handicap. Il faut trouver les moyens de fidéliser ceux qui sont présents, et en attirer de nouveaux. Il faut leur proposer des outils de travail performants, des rythmes de travail adaptés, en proposant par exemple des alternatives à un exercice traditionnel de la médecine, aller vers la plus grande qualité qui soit avec des outils performants et innovants. Beaucoup de jeunes aspirent à trouver sur leur lieu de vie des activités que l’on trouve en milieu urbain. Il faut donc trouver d’autres arguments pour le recrutement.
La tendance des hospitalisations va de plus en plus vers l’ambulatoire. Pour certains patients du CMPR c’est impossible, mais pour d’autres, il sera sans doute opportun de réfléchir à la construction d’un hôtel hospitalier si le dispositif est élargi, pour accueillir les patients qui seraient loin de chez eux mais dont l’état ne nécessite pas forcément une hospitalisation à temps complet.
La rencontre s’est achevée par une visite du plateau technique de l’établissement : piscine, salles de rééducation, salles spécialisées.