4 décembre 2018 : Pôle missionnaire du pays d’Argentan : Emploi sur les territoires ruraux
Une entreprise familiale : PML : Produits et matériels de lavage à Ecouché.
Antoine Louvet a fondé cette entreprise dans un premier temps chez lui, à Ri, en 2000. Il a agrandi et s’est installé à Ecouché en 2008. Il travaille avec son épouse et ses deux fils, Paul et Alexis.
La société fabrique des pompes de lavage haute-pression pour les transporteurs routiers et l’industrie alimentaire.
Pourquoi s’installer dans l’Orne… et y rester ?
En plus d’être le lieu d’origine de la famille, auquel tous sont attachés, l’Orne a l’avantage d’être centrale pour rayonner dans tout le quart nord-ouest de la France, dont proviennent une grande partie des clients. Les clients ne viennent pas à Ecouché, c’est toujours l’un des membres de l’équipe qui se déplace. Les déplacements sont très nombreux, la grande majorité du travail se passe hors d’Ecouché. Être à la campagne permet plus d’autonomie et d’indépendance. L’entreprise comprend actuellement 8 personnes, dont 4 de la famille.
Pourquoi travailler en famille ?
C’est un atout parce que les personnes se connaissent et partagent des façons de travailler communes, adoptées depuis l’enfance, puisque les enfants voient la manière dont leur père travaille depuis très longtemps. Des habitudes sont là, non seulement du point de vue technique, mais aussi du point de vue savoir-vivre, savoir-être. C’est un exemple sur lequel ils s’appuient depuis longtemps. Par exemple, Paul était menuisier, mais n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour s’adapter à travailler sur un tout autre matériau, parce qu’une forme d’automatismes était déjà là. Antoine a appris à Alexis et Paul le bon sens et la polyvalence, ce qui leur a permis d’intégrer sans difficulté l’entreprise. Les membres de la famille ne comptent pas leurs heures, et travaillent de 50 à 70 heures par semaine. C’est difficile de déléguer, d’apprendre à déléguer.
Le monde de l’industrie est différent de celui de l’artisanat. Pour ce dernier, le client a tout de suite affaire à la personne finale, celle avec laquelle il a l’habitude de travailler. L’artisan est souvent plus réactif… et se donne l’obligation de l’être.
Témoignage de Patrick et Valérie Henri, confrontés à une fermeture d’usine et au chômage
Argentan a été marqué il y a environ 10 ans par un grand nombre de fermetures d’usines. La situation de l’emploi y est assez difficile, puisqu’il faut permettre à un grand nombre de personnes de retrouver un travail.
Patrick et Valérie sont venus s’installer à Argentan en 2003. Ils sont originaires du Pas-de-Calais et ont 5 enfants. Patrick a été embauché par Amcor, un groupe australien spécialisé dans l’imprimerie, implanté dans 53 pays.
Très vite après son embauche, Patrick a été élu délégué syndical CGT. Les ouvriers de l’usine avaient tous des petits salaires, il souhaitait les aider dans les petits combats du quotidien. Au sein de la CGT, il n’a pas mis en avant sa foi chrétienne. Mais il a eu l’occasion de partager comment un chrétien vit une épreuve à la lumière de sa foi.
Le 9 février 2017, les 86 salariés de l’usine d’Argentan ont appris que celle-ci fermait, alors que les bénéfices du groupe étaient de plusieurs millions d’euros. Patrick, en tant que délégué syndical, a participé à l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), obligatoire pour une entreprise qui licencie pour motif économique. Pour lui, ce qui a été compliqué, c’est que ses collègues souhaitaient avant tout une importante somme d’argent, sans se poser vraiment la question du reclassement professionnel, de l’accompagnement.
Aujourd’hui, sur 86 salariés licenciés, 15 ont retrouvé un CDI, 20 à 25 travaillent comme intérimaires. D’autres attendent : après 50 ans ils ont droit à 3 années de chômage à taux plein. 6 couples se sont séparés depuis la fermeture de l’usine. Une forme de précarité s’est installée, malgré la prime de licenciement. Quand une personne perd son emploi, elle n’est plus reconnue par la société. Pour certains, la déchéance peut être rapide.
Les liens entre anciens salariés se sont maintenus, ils essaient de se retrouver une fois par semaine. Les collègues se confient encore à Patrick, qui parfois porte beaucoup sur ses épaules.
Valérie est assistante maternelle. Dans ce métier, elle se rend compte de la précarité dans laquelle vivent certains parents. Par exemple, elle accueille parfois une enfant la nuit : sa maman l’élève seule, et travaille comme infirmière la nuit… et n’a pas d’autre solution pour la faire garder. Cette précarité des parents entraîne parfois la précarité des assistantes maternelles. Ces accueils à horaires variables impactent la vie de la famille.
Cettefamille : Start Up créée en 2016 pour promouvoir et développer l’accueil familial en France.
CetteFamille est une entreprise sociale et solidaire (ESS). Face aux enjeux du vieillissement de la population et de la pression croissante qui s’exerce sur les institutions et les structures classiques, elle propose une nouvelle voie : l’accueil familial, en coopération étroite avec les départements et les acteurs en place.
L’accueil familial permet aux personnes âgées ou en situation de handicap d’être hébergées par des professionnels dans un cadre familial. Les accueillants sont agréés puis formés par leur département, et peuvent héberger une à trois personnes. Ils sont rémunérés à hauteur de 1500 euros par mois, pour une présence permanente des personnes à leur domicile. L’agrément permet de certifier les conditions d’accueil : bien-être physique, moral, mental et social.
L’entreprise aide les familles à trouver et obtenir les aides pour diminuer le coût de l’hébergement. Ce moindre coût évite aux personnes d’avoir à puiser dans leur épargne, ou de solliciter l’aide de leurs enfants. Cettefamille met en relation les accueillis et les accueillants
Cettefamille a aussi développé une école de formation pour les accueillants, en présentiel ou via le numérique, avec une spécialisation éventuelle pour accueillir des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer.
L’entreprise essaie de déployer le dispositif au niveau national, en s’appuyant sur les conseils départementaux, tout en gardant son statut d’entreprise de l’économie sociale et solidaire.
Actuellement, l’entreprise gère 5000 lits dans 80 départements. Dans l’Orne, il y a environ 100 places. L’idée est de créer des places dans les bassins de vie des personnes accueillies, ce qui permet de maintenir leur autonomie, puisqu’elles restent en lien avec leurs habitudes, connaissances, etc. L’accueil familial permet aussi de lutter contre la désertification de certaines zones rurales.
Un des objectifs de Cettefamille est de faire connaître le métier d’accueillant familial. La formation a été officialisée par un décret en 2017
Cettefamille crée des liens avec les conseils départementaux, pour se faire connaître et inciter les départements à développer l’accueil familial comme alternative aux maisons de retraite, en montrant tous les avantages de celui-ci, y compris en termes d’emplois et de lutte contre le chômage.
Paul-Alexis a choisi d’installer Cettefamille dans le centre-ville d’Argentan, parce qu’il en est originaire et s’attriste de voir que la vie y est moins présente que lorsqu’il était plus jeune. Il souhaitait qu’une entreprise y soit présente… alors que souvent les entreprises le quittent. Cettefamille a aussi un bureau à Paris. 20 personnes travaillent pour Cettefamille, dont 7 à Argentan.
Domaine cidricole Périgault : Production de Calvados, cidre… biologiques et vente directe
Le domaine de la famille Périgault fait 70 hectares. C’est un domaine familial. Il ne peut s’agrandir, à cause de la forêt qui le borde et la route nationale. La famille a donc choisi de diversifier sa production. Il est certifié agriculture biologique depuis 2018.
Dans les vergers tiges basses un tapis herbacé au pied de chaque arbre est entretenu par tonte mécanique. Des nichoirs favorisent la présence de mésanges qui sont friandes des insectes ravageurs du pommier. Les vergers tiges hautes permettent le pâturage de vaches Aubrac. Les interventions se font uniquement pour la taille de formation dans les jeunes années, en particulier pour éviter que les arbres se touchent et se transmettent d’éventuelles maladies, puis pour la maîtrise du gui. Une entreprise extérieure intervient pour la taille, avec du matériel spécialisé et une équipe formée.
La famille fait appel à des saisonniers au moment de la récolte et de la transformation des pommes. Il n’y a pas besoin de formation particulière, plutôt de la bonne volonté.
La production commence par le jus de pomme, avec les pommes les moins belles. Le jus est extrait et pasteurisé pour pouvoir se conserver plusieurs mois sans fermenter. Cette année, 8000 bouteilles de jus de pommes ont été produites. La CUMA de Passay intervient pour la mise en bouteilles.
Les ramassages suivants permettent de produire le cidre, le Calvados, à partir duquel est également produit le pommeau (avec du jus de pomme) ainsi que d’autres produits comme le vinaigre et une création maison : l’apérigo. Il y a aussi des poiriers sur l’exploitation, du poiré est donc également préparé.
Pour produire le Calvados, un alambic à repasse a été acheté dans la région de Cognac. Cette technique permet d’avoir le label Calvados du Pays d’Auge. Il faut 4400 litres de cidre pour obtenir 800 litres d’alcool à la première distillation, puis 300 à 400 litres de Calvados à la repasse. Ce type d’alambic est rare. Il y en a 2 dans l’Orne.
Pour vendre la production, en plus de la vente directe, le domaine a un contrat avec le Leclerc d’Argentan, qui fait travailler les producteurs locaux. Ils ont aussi des cavistes et des restaurants comme clients. Le domaine a remporté un appel d’offre en Finlande pour le Calvados de 8 ans d’âge.
La famille ne cherche pas à conquérir des marchés : elle cherche à préserver la vie de famille, tout en faisant vivre et en valorisant l’héritage familial.
Yannick Jouadé, directeur de Pôle emploi d’Argentan, témoigne de la situation à Argentan
La fermeture de plusieurs entreprises sur le bassin d’Argentan a beaucoup marqué les esprits. C’est un bassin d’emploi rural, qui reste fragile où la situation de l’emploi n’est pas bonne. La population vieillit. La proportion de risque d’illettrisme est importante sur le bassin. 24, 2 % des 3318 demandeurs d’emplois dont s’occupent l’agence d’Argentan perçoivent les minima sociaux. Moins d’un tiers d’entre eux a le bac ou plus. Les jeunes se tournent peu vers l’apprentissage (10% contre 28 % pour la région Normandie).
Il y a pourtant des opportunités, entre autres parce que de nombreux salariés sont actuellement proches de la retraite : 36 % de départs à la retraite sont prévus entre 2015 et 2020. Mais les entreprises ont du mal à trouver des personnes qualifiées pour les emplois qu’elles proposent. Le taux de chômage est actuellement inférieur sur Argentan qu’au niveau national. Fin 2017, il y avait 1300 offres d’emplois, contre 700 en 2013.
Beaucoup de jeunes quittent le département, même si dans le même temps, des personnes y arrivent. Il faut faire le lien entre les jeunes et le monde du travail.
Il faut travailler à la qualification des personnes pour qu’il y ait concordance entre les offres et les demandes d’emplois. L’emploi agricole commence aussi à travailler avec Pôle emploi.
Un des soucis est le modèle unique pris par Pôle emploi, qui ne s’adapte pas aux réalités des lieux de vie des personnes. Le virage numérique est une grosse source d’inquiétude : comment des personnes qui n’ont pas accès à Internet peuvent-elles s’en sortir ?
Vidéo et émission RCF Orne de 25 mn :